« Hey, doucement Samson ! » t'exclamais-tu, laissant librement éclater ton rire cristallin devant l'impatience de ton cheval, alors que tu lui faisais manger l'un de ses mets préférés, une carotte, dans le creux de ta main. Tu adorais t'occuper de ton cheval, et cela depuis que tu savais mettre un pied devant l'autre et arrivais à rester à peu près en équilibre debout. Tu avais toujours été plus attiré par les chevaux que les autres animaux, surement parce que tu pouvais en trouver facilement à chaque coin du château où tu vivais, et tu étais donc beaucoup plus en contact avec eux. Samson était ton cheval rien qu'à toi, offert par ta chère mère il y avait de cela quelques années. Un cadeau qui était resté gravé dans ton cœur et t'avais procuré la plus grande des joies. Ta mère t'avait appris comment t'en occuper, comment offrir le confort nécessaire à ton cheval et créer une vraie relation de confiance entre l'animal et toi-même. Samson te suivait maintenant partout lorsque tu étais dans l'arrière cours du château, attendant avec impatience votre prochaine balade. Tu adorais être sur son dos et le laisser te guider, tu avais l'impression d'être un vrai chevalier, et cette sensation de liberté lorsque le vent tapait sur ton visage et que tu riais pour un rien, t'accrochant à la crinière de ton cheval, était une sensation que tu voudrais ressentir à chaque seconde de ta vie. Caressant sa robe blanche, tu souriais, jusqu'à ce que la voix de ton père parvienne à tes oreilles et te tire de tes pensées. « Philippe, il te faut rentrer, nous sommes conviés au baptême princier ! » Ton sourire se transforma en moue, et tu soupirais, caressant une dernière fois ton fidèle cheval avant de rentrer au château où t'attendais ton père. Aller célébrer une naissance, alors que tu pourrais te laisser porter par ton cheval et sentir la vitesse du vent en galopant, ce n'était vraiment pas une activité que tu attendais avec impatience. De plus, vous seriez seul. Ton père, toi. Aucune figure maternelle, douce et aimante à vos côtés. Ton père n'en perdait pas moins sa joie de vivre, faisant son deuil et cachant sa peine derrière des sourires et des tapes fraternelles et amicales dans le dos des autres rois et des serviteurs du château. Et toi, tu essayais de rester fier, de te tenir comme le Prince que tu étais, et de faire face à la réalité. Ta mère était morte il y a quelques années, trois, quatre ans. Elle était très malade, et voilà qu'un jour, son corps n'a plus combattu. Morte. Ça t'avait hanté pendant des jours et des nuits, où tu avais essayé de ne pas pleurer, en vain, car tu étais un garçon et que les garçons ne pleuraient pas. Tu étais un chevalier - tu en rêvais du moins - et toute souffrance ne devait pas t'atteindre. Sauf que c'était la vraie vie, où tu n'étais qu'un petit enfant qui perdait sa mère, et que surmonter cela à ton âge n'était pas chose aisée. Arrivé dans le château du Roi Stefan, le meilleur ami de ton père, pour la naissance princière tant attendu, tu jetais un oeil autour de toi, tout le royaume ayant été convié. Ce n'était pas quelque chose d'inhabituel de voir tant de monde, lorsque l'on faisait partie d'une famille royale, c'était presque normal. Alors que l'on appelait votre famille, vous vous avanciez jusqu'au trône afin de faire une sorte de révérence devant le roi et la reine, signe de respect. A peine ton père relevé, le roi Stefan le prit dans ses bras, accolade chaleureuse que l'on pouvait voir à chaque fois que les deux meilleurs amis se retrouvaient. Le roi passa sa main dans tes cheveux bruns clairs, presque blonds sable, dans une tentative de te les ébouriffer, puis ton père te poussa légèrement le dos afin que tu te diriges vers le couffin, où se trouvait la princesse Aurore. Tu t'avançais doucement, une boîte dans tes mains, présent pour le bébé qui se trouvait devant toi, et la Reine prit place à tes côtés. Quelle joie tu avais, d'être obligé de venir ici, offrir un cadeau à un enfant que tu ne connaissais absolument pas, alors que tu aurais pu t'éclater à faire n'importe quoi d'autre, comme un vrai petit enfant. Mais tu étais venu, ayant fait le moins de caprice possible pour un enfant de ton âge, parce que déjà à ce moment-là de ta vie, tu étais quelqu'un de poli, et de respectueux, et tu écoutais ce que te disait ton père, obéissant aux moindres de ses paroles, même avec la pression qu'il te mettait. Alors que ton regard noisette se dirigea sur le bébé endormit, tu ne pu retenir cette grimace qui apparaissait sur ton visage. C'était la première fois qui tu posais les yeux sur ta promise.

La suite, tout le monde l'a connait. Aurore se fit piquer le jour de son seizième anniversaire, ce qui l'embarqua dans un sommeil sans fin. Tu la sauva de Maléfique, en combattant le dragon qu'elle était, et réveilla ta promise et princesse d'un baiser. Et puis, avant même que vous ne puissiez prononcer vos vœux, vous vous retrouvez à Fantasia Hill, comme ça.



Que s'était-il passé ? Qu'avais-tu fait de si horrible pour que ta bonne étoile te lâche dans un moment pareil, au moment où tu semblais en avoir le plus besoin ? Passée la surprise de ce nouveau corps et de cet endroit si différent d'où tu venais, tu avais pris ton courage à deux mains et tu avais tenté de retrouver ta Aurore, refusant de te laisser abattre de si tôt. La logique voulait que si toi tu avais atterri sans aucune volonté de ta part ici, ta princesse avait également avoir du subir la même chose. Alors on t'a donné une chambre dans un Manoir bizarre et glauque pour ne pas que tu te retrouves à la rue, et quelques jours plus tard, tu tombais sur elle, au détour d'un des nombreux couloirs. Rapidement, vous voilà replongés dans votre petite routine, dans votre vie à deux. Et c'était bon, et putain que c'était fou cette sensation qu'à chaque fois que tu posais tes yeux sur elle, tu l'aimais un petit peu plus. La difficulté de te mettre à la page dans ce vingt-et-unième siècle ne semblait plus si horrible avec la jolie blonde à tes côtés, et le fait de te retrouver presque démuni, sans titre ni responsabilités, s'apaisait un peu par sa simple présence, comme un rappel indélébile que malgré les changements que tu voyais d'un mauvais œil, votre amour pouvait gravir tous les obstacles. Après tout, c'était ton destin d'être relié à elle, Aurore et Phillipe, c'était écrit. Ou du moins, c'est ce que tu avais toujours cru, après avoir appris que ta promise était en effet la fille dont tu étais tombé amoureux dans la forêt. Alors pourquoi ici les choses dégringolaient si vite et la fin heureuse que tu avais pourtant tant mérité ne ressemblait plus qu'à un long souvenir lointain ? Pourquoi vous n'arriviez plus à rester heureux, vos envies différentes et vos disputes vous éloignant considérablement chaque jours un peu plus? Tu ne te pensais pourtant pas fautif dans l'histoire. Après tout, ce n'était pas toi qui semblait se foutre royalement de votre sort, perdant de vu le but principal, celui de se bouger les fesses afin de retrouver sa vie d'avant. Ce n'était pas toi qui t'intéressait à l'informatique et aux nouvelles technologies, ce n'était pas toi qui se perdait à essayer des nouvelles choses et à s'amuser d'activités futiles et inintéressantes au lieu de chercher une solution pour récupérer sa vraie vie. Étais-tu vraiment le seul à n'en avoir pas que faire de ce qui vous était tous arrivé ? N'arrivant pas à rejoindre Morphée, tu passais sans faire de bruit devant votre canapé où Aurore était allongée, endormie, des larmes séchées sur ses joues blanches, et tu prenais un instant pour remonter un peu la couverture sur ses épaules, formant un barrage contre le petit courant d'air créé par la fenêtre entre-ouverte, avant de t’éclipser. Là tu t'aventurais vers l'aile nord du manoir – celle qui semblait être comme habitée de magie mystérieuse – et tu te posais contre une grande fenêtre, à regarder les paysages sombres que la nuit apportait. Tu ne savais pas quoi faire pour faire revenir Aurore à la raison, tu ne savais pas quoi faire pour retourner dans ton monde, tu ne savais pas quoi faire pour retrouver Henri qui avait disparu du jour au lendemain, tu ne savais pas quoi faire pour faire disparaître ce putain de brun de la surface de la terre sans que tu n'en sois jugé responsable et qu'on te foute en prison. Tu te sentais foutu, démuni, incompris. Et cela était des sentiments qui n'allaient malheureusement pas s'arranger avec le temps.

En Juillet 2016, un peu moins d'un an depuis votre arrivé à Fantasia Hill, arrivait ce que tu n'aurais jamais pensé qu'il arrive. Vous aviez bataillés, vous aviez tentés de faire tenir votre couple malgré les disputes et les larmes et les différences d'opinions, malgré la jalousie, la possessivité et les incompréhensions – et pourtant, en ce jour ensoleillé, Aurore appliquait le point final et t'acheva, ce qui ne faisait que réveiller un sentiment de remord et de colère qui s'emparait de ton cœur. Elle voulait que vous en arrêtiez là? Très bien. C'est pas toi qui allait être le plus malheureux dans l'histoire. Tu te le refusais.